Close-Up de Abbas Kiarostami : le cinéma iranien entre réalité et fiction
Comme disait le personnage de Camilla dans le film Carrosse d’or de Jean Renoir réalisé en 1952 : “Où finit le théâtre ? Où commence la vie ?”. Cette citation conviendrait tout aussi bien pour décrire le film Close-Up, où la frontière entre réalité et fiction est très fine. Il a été réalisé en 1990 par Abbas Kiarostami, un cinéaste iranien déjà remarqué par la critique internationale avec son film Où est la maison de mon ami ? , en 1987.
Ce long-métrage s’inscrit dans une nouvelle vague du cinéma iranien, un nouvel essor où la création est en faveur d’un cinéma documentaire qui dépeint la société iranienne. Close-Up raconte l’histoire vraie de l’escroquerie d’Hossain Sabzian. Cinéphile et sans emploi, ce dernier se fait passer pour le célèbre cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille bourgeoise de Téhéran ; démasqué, il finit par être traîné devant la justice. À l’annonce de cette nouvelle par le magazine Sush, le réalisateur Abbas Kiarostami décide de suivre le procès mais aussi de reconstituer les faits.
Ce film que l’on pourrait qualifier de docu-fiction met en avant l’histoire d’un homme face à son mensonge tout en apportant également une certaine réflexion sur le pouvoir du cinéma à rendre compte d’une certaine réalité.
Close-up et sa construction
Close-Up a été salué par la critique internationale, avec plusieurs récompenses ; Abbas Kiarostami a notamment remporté le prix du meilleur réalisateur au Festival International du Film de Dunkerque en 1991. Close-Up a acquis cette notoriété, en majorité grâce à l’intention et à la façon dont Abbas Kiarostami a réalisé ce film.
Dans un premier temps, nous devons avoir à l’esprit que la réalisation de Close-Up n’était pas prévue. En effet, Abbas Kiarostami s’apprêtait à tourner un autre film quand l’affaire du faux Mohsen Makhmalbaf a surgi. L’histoire de ce père de famille sans emploi l’a interpelé, et le cinéaste a souhaité réaliser le film alors que l’affaire était encore en mouvement et que le sort de Hossain Sabzian n’avait pas été encore décidé. La mise en place du tournage a dû se faire très rapidement et sans préparation. De ce fait, Abbas Kiarostami a dû trouver directement quelle intention et quelle direction il souhaitait donner à son film.
Ce dernier est construit en deux parties distinctes. Cela se remarque au fur et à mesure du visionnage. En effet, nous voyons des faits filmés sur le vif mais pas uniquement. Une grande partie de ce long-métrage est reconstituée. Et pour cela, Abbas Kiarostami a fait appel à la participation des vrais protagonistes. Pour quelles raisons ces personnages ont-ils accepté cette proposition alors qu’ils pouvaient transmettre une mauvaise image ? Le cinéaste répond ainsi : “Que les gens acceptent de jouer, y compris un rôle négatif, à partir du moment où leur image est enregistrée. (…) Tout le monde a envie et besoin de voir son image. Car elle seule nous permet de croire en nous et de prendre conscience de notre existence.”
De plus, le réalisateur à réussi à tourner lors du procès de Hossain Sabzian, une séquence entrecoupée par des retours en arrière pour la reconstitution des faits. Si cette façon de faire nous permet de mieux connaître l’accusé, cela bouleverse les repères, et n’aide pas à dissocier le vrai du faux pour le spectateur.
Close-up et sa mise en scène
Au premier abord, nous pourrions voir Close-Up comme un film simple à comprendre. En effet, sa conception peu spécialisée, une production assez artisanale, des acteurs non professionnels et une part de souplesse dans le jeu nous amène à penser le film comme une simple restitution de la réalité. Néanmoins cela s’avère bien plus complexe. Entre les scènes reconstituées et celles qui ne le sont pas, le spectateur est vite décontenancé. Quelle est la place spécifique de la mise en scène dans ce film ? Où s’arrête la réalité ? Où commence la fiction ? L’un est-elle au service de l’autre ?
Ce choix de réaliser le film ainsi, dans ces conditions, en dit long sur le message que souhaite faire passer Abbas Kiarostami. Cette frontière fine entre le vrai et le faux est la thématique même de celui-ci. Ainsi, les seuls rapports vrais semblent paradoxalement passer par le jeu. Pour lui, “le plus important, c’est que les spectateurs sachent que nous alignons une série de mensonges pour arriver à une vérité plus grande”. En effet, par cette nouvelle esthétique du réel, par ce mensonge comme élément de la réalité filmée ou reconstruite, Abbas Kiarostami ne va pas seulement dévoiler une certaine vérité sur le personnage et les protagonistes qui l’entourent, il va aussi peindre une certaine société.
Close-Up et son rapport à la société iranienne
Close-Up est en quelque sorte un miroir de la société iranienne, et notamment de la justice du pays, en plus d’illustrer la réalité d’un film en train de se faire.
Aujourd’hui le cinéma en Iran a une place prépondérante, mais ce ne fut pas toujours le cas, depuis son apparition dans les années 1900. Abbas Kiarostami utilise donc le cinéma comme un outil pour dénoncer et dresser un portrait de la société iranienne, en faisant un gros plan sur ceux qui ne trouvent pas leur place comme c’est le cas de H.Sabzian. En tournant ainsi, en étant au plus proche des protagonistes, le cinéaste nous plonge au sein de cette société et de ces institutions. Grâce à cette mise en scène, nous ne voyons plus l’accusé tel quel mais plutôt comme un homme qui recherche une ascension sociale et qui utilise son amour du cinéma pour y parvenir. Durant 94 minutes, le cinéma apparaîtt finalement comme une source de vérité et de lien social entre deux classes dites opposées mais finalement rassemblées par le cinéma.
Le cinéma a sûrement influencé les sujets et les a poussés à être sincères, le cinéma leur permet de se révéler. Toujours lors du procès, nous assistons à deux jugements : celui de la justice et celui fait par le cinéma, qui fait émerger une vérité que la justice seule n’aurait pu révéler.
Abbas Kiarostami, avec l’œil de sa caméra a su brosser une certaine réalité des personnages et de leur relation. En faisant le choix d’être entre une fiction et un documentaire, il brouille les repères du spectateur et met en avant la puissance d’un cinéma capable de toucher sur le plan humain et politique, avec une justesse permettant de révéler le vrai à partir du faux.
Katell Bianic
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